HORTUS
Presse


Hortus ou les amitiés vagabondes et buissonnantes d’Isabelle Dumont & Cie – Françoise Nice (journaliste RTBF)

Mignonne allons voir si la rose… Le célèbre sonnet de Ronsard est dans toutes les cervelles d’élèves appliqués. L’heddomadaire défoulement sur un bout de parc public pelé, ou les dimanches soirs avec Le jardin extraordinaire. À part ça, quoi ? Le poumon de la forêt amazonienne se flétrit, comme le géranium abandonné sur le balcon. Le citadin se dénature et entretient des rapports de plus en plus aléatoires et ignorants avec une nature menacée… Et, pourtant, Mignonne allons voir si la rose… Sébastien Jacobs en fait une ballade folk, presque chuchotée à la guitare, et le poème retrouve sa force et sa grâce pour dire l’éphémère, ou plutôt, une des lois du végétal.

Dans Hortus, Isabelle Dumont et ses complices, les danseurs et comédiens Claire Haenni et Sébastien Jacobs, la spécialiste du costume Colette Huchard, sans oublier Filipa Cardoso (son, image) et Florence Richard (des lumières magnifiques), nous emmènent au jardin pour une exploration savante et loufoque des charmes et sortilèges de la diversité végétale, de ses lois mystérieuses et nécessaires à (re)découvrir.

Le fond de scène ouvre l’horizon du plateau, et débouche sur un écran où l’on suit Claire Haenni vibrillonnant dans les massifs, fourrageant dans les fourrés, vrombissant à la tondeuse. Sur la scène, Isabelle Dumont et Sébastien Jacobs entament une causerie savante sur les vertus de telle ou telle fleur. On retrouve la patte d’Isabelle Dumont, son ironie, son art d’emprunter des chemins détournés, des gestes décalés pour s’approcher avec une fausse ingénuité des énigmes des objets, de l’art baroque, ou ici, de la nature. [...]

En costume clairs et neutres, armés de la panoplie du parfait jardinier d’appartement, ils enchaînent les séquences, en trois parties très orchestrées, selon la forme classique de l’ode. Leur ode à cette compagne verte négligée ne manque pas de belles images et recèle de très beaux moments, comme le monologue où Sébastien Jacobs interprète un extrait du livre d’Urs Widmer, L’homme que ma mère a aimé, l’évocation des travaux de jardin d’une mère, alors que la peste brune fasciste envahissait l’Europe.

Il y aurait encore quelques longueurs à retailler, mais la tentative d’interroger les liens entre l’humain et le végétal en évitant le manifeste écolo ou un rousseauisme bucolique est amusante autant qu’intéressante, légère et profonde, vitaminée par les lectures du botaniste Francis Hallé, car Isabelle Dumont ne buissonne jamais au hasard de sa fabuleuse fantaisie.

Mignonne allons voir si la rose… La prochaine fois que je croise une orchidée sommairement parée de cellophane à la caisse du supermarché, promis ! je m’arrête. Et qui vivra verdira.


Virtuosité botanique – Martine Dumont-Mergeay (journaliste à La Libre)

Dans le pot ou autour du pot ? Les deux, mon jardinier ! Dans le nouveau spectacle initié par Isabelle Dumont et intitulé Hortus, trois personnages – deux sur scène, la troisième à l’écran – empoignent (parfois délicatement) la matière végétale sous toutes ses formes, linguistiques, sémantiques, scientifiques, poétiques et, par-dessus tout, vivantes. Quitte à en partager le sort comme tente de le démontrer la première scène où Isabelle Dumont et Sébastien Jacobs chantent, en somptueux duo mais chacun dans son pot, l’éloge des vertes frondaisons (Ombra mai fu de Haendel…) Ils donnent ainsi le ton : brillant et déjanté. Les idées abondent, organisées en scènes successives elles-mêmes regroupées en trois « actes » aux tonalités contrastées. Après un cordial bonjour à l’écran de la troisième jardinière, Claire Haenni, œuvrant d’ailleurs dans son propre jardin, le trio évoluera dans une interaction savante entre images filmées et réalité scénique, avec en guise de sablier, le développement, en temps réel, des fleurs d’onagres filmées un soir d’été, sur un écran vidéo latéral. Occasion d’une conférence-minute sur l’onagre (en latin : oenothera), ses pouvoirs, ses fonctions, ses vertus, débitées à la vitesse de frappe de l’onagre, « engin de siège, sorte de catapulte utilisée au moyen âge ». Euphorie des mots qui ne décrivent pas la vie mais l’inventent.

Hortus est un enchantement, par son mélange de légèreté et de gravité, son rythme bondissant, le raffinement des textes, la beauté des images – scéniques et filmées. On rit beaucoup, on savoure des moments musicaux sublimes et d’autant plus poignants que ces chanteurs aux voix si pures et si justes ne sont pas de « vrais » chanteurs (on songe évidemment à Marthaler ou von Wantoch Rekowski), idem pour la danse, en particulier le parnassien ballet final, on tremble d’amour pour la petite plante dans les feuilles de laquelle Isabelle chuchote l’heureuse promesse (constatation) d’immortalité. De quoi nous laisser le temps de voir et de revoir Hortus.