Curiosité du Dimanche 07/07/13 – Variations hermaphrodites



En 175 av. J-C, Polyclès, sculpteur grec actif à Alexandrie, réalisa une sculpture représentant Hermaphrodite : fils d'Hermès et d'Aphrodite, celui-ci avait repoussé les avances de la nymphe Salmacis. Ne pouvant se résoudre à ce rejet, celle-ci obtint de Zeus que leurs deux corps soient unis pour toujours, d'où leur étrange mariage en un être bisexué, doté d'un sexe d'homme et de seins et d'un corps plutôt féminins.

De cet original grec perdu, plusieurs copies furent réalisées, à diverses époques, avec diverses variantes, témoignant de la fascination exercée par cet/te intersexuel/le troublant/e, nonchalamment étendu/e sur un drap et détournant la tête de ses doubles attributs au repos... La créature est endormie mais ne s'abandonne qu'à demi au sommeil : la pose contournée du corps et la tension qui affleure jusqu'au pied gauche légèrement soulevé trahissent l'état de rêve.

La plus célèbre de ces copies date de l'époque romaine et fut découverte à Rome près des thermes de Dioclétien en 1608. Elle comptait parmi les chefs-d'œuvre les plus admirés de la collection Borghèse aux XVIIe et XVIIIe siècles. En 1619, le cardinal Scipion Borghèse confie au sculpteur baroque italien Le Bernin l'exécution du matelas sur lequel repose désormais le marbre antique. L'oeuvre entre au Louvre après son achat par Napoléon Ier à son beau-frère le prince Camille Borghèse en 1807, avec l'ensemble de la collection Borghèse.



Je viens de découvrir, au musée du Louvre à Lens (qui vaut le détour), une autre version de cette hybride créature – hélas mutilée...





Il y a quelques mois, je découvrais celle du musée des beaux-arts de Lille, intacte celle-là...



En voici d'autres encore !

La réplique de Ludovisi aux musée des Offices à Florence...
 
 


Les deux exemplaires conservés à Rome, l'un à la Villa Borghèse,



l'autre au Palazzo Massimo.



Encore deux autres répliques en marbre, l'une conservée à Athènes,

 

 l'autre à Saint-Pétersbourg.

 


Il existe aussi des copies en bronze!

Voici celle que commanda Velasquez pour le roi d'Espagne, conservée au Prado.

 
Et une copie en bronze plus tardive, conservée au Metropolitan Museum à New York.



Le choix du sujet de l'hermaphrodite reflète le goût pour la nudité alanguie, l'effet de surprise et la théâtralité, très prisés à la fin de l'époque hellénistique. L'œuvre a été conçue pour être appréciée en deux temps. D'abord s'impose une gracieuse et sensuelle physionomie qui flatte la féminité du personnage et s'inscrit dans la tradition du nu féminin hellénistique, magnifié par la sinuosité de la position. Ensuite, le revers de la statue crée la surprise en révélant sa nature androgyne, usant du réalisme le plus cru. Cet effet de contraste et d'ambiguïté, voire ce goût pour l'étrange qui joue avec le trouble du spectateur, est un aboutissement de l'art hellénistique de la mise en scène. Rien d'étonnant que cet art ait plu à l'époque baroque! On interprète parfois cette combinaison utopique des deux sexes comme une création mi-ludique, mi-érotique, destinée à illustrer les réflexions philosophiques et platoniciennes sur l'amour.